Revivez #LaREF25 - "Quels choix économiques pour la France ?"
Avec Antonin Bergeaud, Pierre André de Chalendar, Angeles Garcia Poveda, Ross Mc Innes, Alexandra Roulet et animé par Hedwige Chevrillon.
Verbatim
Ross McInnes : "Nous dépensons beaucoup. La dépense publique est énorme et les Français ont l'impression de ne pas en avoir pour leur argent."
"La France est passée du 2e rang mondial au 25e rang en termes de PIB par habitant."
"Si on prend les heures de travail dans la vie d'un Français ou d'une Française, il manque environ 100 heures de travail par an aux salariés à temps plein par rapport à l'Allemagne."
"Ce qui explique notre appauvrissement collectif, c'est que nous sommes avec un Etat providence, que nous ne savons pas financer."
"Or, nous faisons peser la charge de ce financement sur les actifs et sur les entreprises."
Pierre André Chalendar : "Il faut travailler plus, les Français ne sont pas assez nombreux à travailler."
"La préoccupation principale des concitoyens, c'est le pouvoir d'achat, avec le sentiment que le travail aujourd'hui ne paye pas."
"La part de ce que le travail, donc les entreprises, contribue à la dépense publique et notamment à la protection sociale est énorme et beaucoup plus importante que dans d'autres pays."
Alexandra Roulet : "Donc les raisons pour lesquelles on a moins d'heures travaillées en France, par rapport aux Etats-Unis ou à d'autres pays européens, il y en a quatre. Il y a le fait qu'on a moins de jeunes en emploi. Deuxièmement, le fait que pour les plus de 60 ans, on a aussi un taux d'emploi beaucoup plus faible. Et ensuite, il y a deux autres spécificités françaises. Il y a le faible nombre d'heures travaillées par les moins qualifiées et enfin, pour nos salariés à temps complet, une moindre durée de travail."
"Les temps complets travaillent moins, mais les temps partiels travaillent plus."
Antonin Bergeaud : "Un chef d'entreprise sur 10 préfère utiliser l'intelligence artificielle, plutôt que d'employer un jeune."
"L'innovation évolue par grande vague technologique et au début des vagues comme celle qu'on connaît aujourd'hui, il y a des bouleversements dans l'emploi."
"C'est à nous, en tant que professeur et éducateur au sens large, de trouver les moyens de former les jeunes un peu différemment pour qu'ils puissent montrer leur valeur pour l'entreprise."
"La croissance est faible, elle stagne. Elle stagne à un niveau assez bas, en France, comme en Europe. Cette croissance faible, elle est essentiellement faible parce que la productivité évolue trop peu en termes relatifs par rapport aux Etats-Unis. On décroche !"
"On n'investit pas assez dans la recherche et le développement. Nos entreprises n'adoptent pas assez vite et assez efficacement les technologies qui les rendraient plus productives."
Ross McInnes : "L'Etat ne sait pas redistribuer l'impôt entre les différents secteurs de l'économie. Il serait important de supprimer un certain nombre d'impôts de production, que tout le monde qualifie de bêtes et stupides."
"Nous avons le paradoxe d'avoir un système public de santé hospitalier extrêmement régulé et un système de santé en ville totalement dérégulé. Il faut réduire le temps qu'on passe à l'hôpital et augmenter le temps qu'on passe chez soi en convalescence. Ca veut dire renforcer le lien entre la ville et l'hôpital."
"Nos médecins libéraux, nos médecins de ville, croient qu'ils sont libéraux. en fait, ils sont fonctionnaires, parce qu'ils ont été formés par la collectivité et c'est la sécurité sociale qui paye leurs factures."
Alexandra Roulet : "Au niveau macro, on a toujours un problème de taux d'emploi des jeunes. Il faut essayer de résoudre ce problème ailleurs que sur les politiques de l'emploi, par exemple sur toutes les mesures en faveur du logement. C'est plus facile aujourd'hui pour un jeune de trouver un emploi qu'un logement. Mais s'il ne trouve pas de logement, il ne peut pas accepter l'emploi."
Pour aller plus loin
La France, comme la plupart des autres économies occidentales, traverse une période marquée par de profondes mutations économiques, sociales et écologiques. L’après-Covid, la guerre en Ukraine, la crise énergétique, les tensions inflationnistes et la nécessité urgente de faire face au changement climatique bousculent les repères traditionnels de l’action publique. Dans ce contexte mouvant, quels choix économiques privilégier ? Comment maximiser la croissance tout en conciliant développement durable, cohésion sociale et souveraineté nationale ? Le pays est incontestablement à un tournant, dès lors, quels arbitrages s’imposent entre baisse des prélèvements, investissements d’avenir, financement de la protection sociale, renforcement de l’emploi et formation des jeunes ? Quelle stratégie adopter pour restaurer l’attractivité, soutenir l’innovation, moderniser l’appareil productif et bâtir un modèle soutenable, compétitif et équitable ?
Un contexte difficile
Les choix économiques pour la France dépendent incontestablement du contexte politique, social, environnemental et géopolitique actuel. En 2025, plusieurs défis majeurs se posent et les décisions économiques doivent pouvoir répondre à des objectifs souvent contradictoires : soutenir la croissance, lutter contre l’inflation, répondre à la crise écologique, maîtriser les finances publiques et la dette et réduire les inégalités. L’économie française est en effet confrontée à des déséquilibres structurels, qui limitent sa capacité d’action et que les gouvernements successifs n’ont pas su maîtriser : une dette publique abyssale, qui pèse sur les marges budgétaires, un déficit commercial élevé, symptôme de la désindustrialisation engagée depuis plusieurs décennies, un chômage qui reste élevé, en dépit de la baisse relative enregistrée ces dernières années, un coût du travail supérieur à celui de nos principaux concurrents, une fiscalité parmi les plus élevée du monde et des difficultés croissantes dans nos systèmes de protection sociale… Et au-delà de ces contraintes internes, la situation internationale n’arrange rien, notamment depuis l’arrivée de Donald Trump à la tête des Etats-Unis et une Union européenne qui peine à s’imposer.
Politique de l’offre ou politique de la demande ?
Pour relever ces défis, les opinions divergent quant aux choix économiques à faire. Certains plaident pour une politique de l’offre afin de stimuler la compétitivité des entreprises. Cela passe par une baisse des impôts de production, une réforme du marché du travail et des incitations à l’investissement et à l’innovation. France 2030, dont les 10 objectifs s’articulent autour de trois enjeux : mieux produire, mieux vivre et mieux comprendre notre monde, et le Crédit d’impôt recherche vont dans ce sens. Cette stratégie parie sur un effet de ruissellement : en libérant les forces productives, la croissance créerait des emplois et augmenterait les recettes publiques. Toutefois, mal maîtrisée et sans compensation par des politiques sociales, une politique de l’offre risque d’accentuer les inégalités et d’entraîner la colère de la rue avec en corollaire, la montée des populismes. C’est pourquoi, à l’inverse, d’autres souhaitent au contraire une politique de la demande, afin de soutenir le pouvoir d’achat, qui reste une des préoccupations majeures de nos concitoyens. Elle passe par une revalorisation du salaire minimum et une relance de la consommation inspirée des idées de Keynes. Mais une telle politique a pour risque majeur d’alourdir encore la dette et d’augmenter l’inflation.
Alors que choisir ? Sans oublier l’impératif incontournable de la transition écologique, qui impose à notre économie de se décarboner massivement et d’investir dans les énergies renouvelables, les transports propres, la rénovation thermique des bâtiments, l’agriculture durable. Tout cela avec un risque d’inacceptabilité sociale !
On le voit, face à la complexité des enjeux, le dilemme est immense pour le gouvernement. Les choix économiques de la France ne peuvent aujourd’hui se résumer à une opposition entre rigueur budgétaire et relance. Le contexte actuel impose de concilier croissance, équité et soutenabilité. Mais, comment faire ?
Concilier compétitivité, justice sociale et transition écologique
Aucune transition ne pourra réussir sans justice sociale. Si, a priori, relance de la compétitivité et cohésion sociale semblent deux objectifs contradictoires, des leviers existent cependant pour les rendre compatibles.
Le premier est un investissement dans le capital humain, avec une réforme du système éducatif pour permettre un accès égal à l’éducation et à la formation professionnelle, afin de former une main d’œuvre qualifiée qui permettra aux entreprises de relever les défis de la modernité et d’améliorer leur productivité. Soutien renforcé à l’apprentissage, écoles de la deuxième chance, passerelles entre les filières, renforcement du tutorat… les pistes ne manquent pas pour garantir une meilleure égalité des chances. Le deuxième levier consiste à repenser en profondeur la fiscalité pour la rendre plus équitable et plus intelligente. Le but est d’éviter que la baisse, indispensable, des impôts de production ne vienne creuser encore les inégalités et partant, nourrir la grogne sociale. L’objectif est de financer la protection sociale, sans freiner la croissance. Enfin, troisième levier, s’assurer que la transition écologique soit juste et ne laisse aucune catégorie sociale sur le bord du chemin.
Mais pour concilier tout cela, des arbitrages s’imposent dans le contexte actuel de ressources contraintes, là encore comment choisir ?
Quels arbitrages ?
Baisse des prélèvements, investissements d’avenir, financement de la protection sociale, renforcement de l’emploi et formation des jeunes…tous ces objectifs sont légitimes, mais concurrents à court terme. Le problème est donc un arbitrage budgétaire et politique pour tenter d’équilibrer ces impératifs, sans compromettre l’avenir, ni fracturer le présent. Loin d’être uniquement techniques, ces arbitrages traduisent des choix de société. Prenons, par exemple, la baisse des prélèvements obligatoires. La France est l’un des pays à la fiscalité la plus élevée des pays de l’OCDE,. Cela pèse lourdement sur la compétitivité des entreprises et des baisses ciblées d’impôts de production s’imposent, si on veut pouvoir lutter à armes égales avec nos concurrents. Mais comment faire en sorte que cela ne réduise pas les ressources nécessaires pour financer la protection sociale ou l’investissement public ? Autre exemple, en matière de protection sociale – on sait combien les Français y sont attachés – faut-il réduire les dépenses ou simplement mieux les réorienter en faveur des populations les plus vulnérables ? En fait, il s’agit de hiérarchiser sans opposer et de mieux articuler croissance, solidarité et avenir. Certaines dépenses, comme l’investissement dans la jeunesse ou les infrastructures bas carbone, permettent précisément de créer de l’emploi tout en réduisant les inégalités et en améliorant la compétitivité. Il s’agit aussi d’engager les réformes nécessaires pour dégager de nouvelles marges de manœuvre. Mais pour être efficaces, tous ces arbitrages nécessitent un leadership politique fort, capable d’expliquer les choix, de les faire accepter par le plus grand nombre et d’instaurer un climat de confiance. Dans le contexte d’instabilité politique actuelle, plus facile à dire qu’à faire !
La croissance durable à laquelle la France aspire, ne pourra être atteinte sans une stratégie cohérente, intégrée et de long terme qui implique de sortir de l’opposition entre économie et écologie, entre compétitivité et solidarité, entre relance et rigueur. La France ne pourra restaurer son attractivité, innover, moderniser son appareil productif et garantir l’égalité des chances sans investir dans la jeunesse et l’innovation, sans soutenir une industrie propre, sans miser sur les territoires et sans renforcer l’Europe. C’est à cette condition qu’elle pourra s’imposer dans le monde de demain, sans renoncer à ses valeurs de justice sociale et de durabilité. Cela passe par une réindustrialisation verte, une réforme équitable des finances publiques, une redistribution juste et un pilotage stratégique à long terme. C’est à ce prix que la France pourra relever les défis du XXIe siècle et construire un nouveau modèle économique durable et solidaire. Les choix à venir sont donc éminemment politiques : ils impliquent de définir collectivement la société dans laquelle nous voulons vivre. Saurons-nous les faire ?